Nathalie Bontemps
Familles
Pourquoi un petit enfant sort-il en plein soleil, au cœur de juillet, torse nu sur les épaules de son père, alors qu’à tout instant, du haut des toits, des snipers peuvent tirer sur la manifestation ? Se demande le médecin Khaled devant la télévision. Le père aurait-il perdu la raison ? N’est-ce pas pour l’avenir de son fils qu’il parie sa vie ? Pourquoi risquer qu’il meure avec lui ? Khaled dit à son fils : « mon petit, marche toujours sur le trottoir ». Mais le garçon lui fait remarquer qu’il n’y a pas de trottoir. Khaled lui répond : « alors au moins traverse quand c’est rouge». Mais le garçon remarque qu’il n’y a pas de feu. « Imbécile ! » Se dit Khaled. Si l’enfant est sorti avec son père, n’est-ce pas parce que la répression le vise tout particulièrement ? Aucun âge où l’on soit en sûreté. Aucune différence entre une chansonnette et un slogan. Quand les enfants jouent à la révolution dans la cour de l’école, on les met dans des vraies prisons. Ils meurent suppliciés, martyrisés comme les grands. Sur internet, Khaled a vu une photo de Ghiath avant son martyr, en train de jouer avec le fils de sa sœur. Il porte un survêtement, c’est le matin, il doit être onze heures, il vient de boire son café, son visage est frais, et il monte sur le tricycle de son neveu sans le casser. Le petit garçon est derrière lui et essaie de le pousser. Ils jouent tous les deux comme s’ils avaient le même âge. Et en quelque sorte nous avons tous le même âge devant ce père unique de métal froid. Car si un père de chair ne peut pas protéger son enfant, est-il vraiment son père ? Sur la photo, Ghiath, détendu, et son neveu, seraient plutôt deux frères. Ce père et ce fils, dans la manifestation, auraient eux aussi perdu leur filiation. Ils ne peuvent se protéger. Ils ne peuvent que s’accompagner. L’avenir n’est pas à préserver, il peut brûler en quelques heures en produisant une flamme dont l’empreinte sur la rétine sera ineffaçable. L’un n’est plus l’avenir de l’autre. Ils sont pris dans le même présent, aliment du feu qui brûle constamment dans les banlieues, et que les pompiers, avec leurs sirènes et leurs gyrophares, reviennent éteindre tout le temps.
لمَ سيخرج ولدٌ صغير في عز الشمس، في قلب تموز، عاري الصدر على كتفي أبيه، بينما القناصون فوق الأسطحة قد يسددون على المظاهرة في أية لحظة؟ يتساءل الطبيب خالد أمام التلفزيون. هل جُنَّ الأب؟ ألا يراهن على حياته من أجل مستقبل ابنه؟ لِمَ المجازفة بموت الولد معه؟ يقول خالد لابنه: يا صغيري، امشِ على الرصيف دائماً. لكن الولد ينوّه بأنه ما من رصيف. يجيبه خالد: على الأقل، اقطعِ الشارع عند الإشارة الحمراء. لكن الولد يلاحظ أنه ما من إشارة مرور. جحش، يحدث خالد نفسه. وإذا ما خرج الولد رفقة أبيه، أفليس السبب هو أن القمع يستهدفه تحديداً؟ لا عمرَ آمناً. لا فرق بين شعارٍ وأغنية أطفال. حين يلعب الأطفال لعبة الثورة في باحة مدرسة يُزجُّ بهم في سجون حقيقية، ويموتون معذَّبين مستشهدين كالكبار. رأى خالد صورة لغياث على الإنترنت قبل استشهاده، مرتدياً بيجامة وهو يلاعب ابن أخته. إنه الصباح، قد تكون الساعة الحادية عشر، ولعله قد ارتشف قهوته للتو، وجهه نضرٌ ويمتطي دراجة بن أخته دون أن يكسرها. الولد الصغير وراءه يحاول أن يدفشه، يلعبان سوياً وكأنهما من عمر واحد. بشكل من الأشكال، نحن جميعاً من العمر نفسه أمام هذا الأب الأوحد المصنوع من المعدن البارد. فإن لم يستطع أبٌ من لحم حماية ابنه، فهل هو أبوه حقاً؟ في الصورة غياث مسترخٍ، وابن أخته قد يكون بالأحرى شقيقه. هذا الأب وهذا الابن قد يفقدان في المظاهرة آصرة القربى. لا يقويان على حماية بعضهما البعض، ولا يستطيعان إلا أن يترافقا. لن يُصان المستقبل، فقد يحترق في غضون ساعات، ليولد لهباً لن يمّحي أثره على شبكية العين أبداً. ما عاد أي منهما مستقبلَ الآخر، فكلاهما متورطان في الحاضر ذاته- وقود النار التي تشتعلُ في الضواحي على الدوام، ودائماً تعود إلى إخمادها الإطفائياتُ بأبواقها ووميض مصابيحها.
Nathalie Bontemps
Nathalie Bontemps est née en 1977 à Paris. En 1999 elle s’installe à Marseille, où elle poursuit des études d’arabe et écrit ses deux premiers livres : Les HLM maritimes et Hôtel coup de soleil, publiés aux éditions P’tits Papiers en 2005 et 2008. En 2003 elle s’installe à Damas pour y continuer ses études, et y vit jusqu’à la fin de l’année 2011. Elle commence à travailler dans la traduction arabe-français en 2006, avec des traductions d’articles de sciences sociales pour les Instituts français (IFPO) de Damas et de Beyrouth. Entre 2009 et 2012, elle traduit des poètes et écrivains libanais: Abbas Beydoun, Hassan Daoud, Bassam Hajjar (éditions Actes Sud), Imane Humaydane (éditions Verticales). En 2013 et 2014 elle traduit des auteurs syriens : Aram Karabet (éditions Actes Sud), Joumana Maarouf (éditions Buchet Chastel). Elle collabore également à un dossier de littérature syrienne contemporaine pour la revue Siècle 21 (numéro 23). Sa nouvelle traduction, en collaboration avec Marianne Babut,porte sur « Récits d’une Syrie oubliée » de Yassine Al Haj Saleh, à paraitre aux éditions Les prairies ordinaires en mars 2015. Son troisième écrit,à paraître aux éditions Al Manar, est un recueil de récits inspirés de son expérience en Syrie. Les six textes présentés ici en sont tirés. Depuis 2012, elle vit à Saint Denis (région parisienne) et enseigne l’arabe à l’Institut des Cultures d’Islam, à Paris. Elle anime également l’association ChamS Collectif Syrie, qui s’efforce d’apporter de l’aide aux personnes victimes des violations des droits de l’Homme, tant en Syrie que concernant les réfugiés syriens à l’étranger.