Nathalie Bontemps

C’est ça, la liberté que vous voulez ?

Aujourd’hui, la pancarte de Kfar Nubul dit : « Uniquement en Syrie : les chutes de martyrs dépassent les chutes de pluie ». Ce matin Asia s’est réveillée avec une impression fraîche, malgré la poussière noire de la rue, et un bourdonnement d’oreilles psychosomatique, qu’elle attribue à la dernière explosion. Malgré le logo d’al-Jazzera qui apparaît derrière ses paupières quand elle les ferme, et la boule dorée du générique, qui plonge dans la mer avec elle quand elle plonge dans le sommeil. Malgré les éclats humains dispersés sur le trottoir, accompagnés de cet étrange commentaire diffusé en boucle sur la chaîne d’état : « C’est ça, la liberté que vous voulez ?» Elle n’éteint pas la télévision, mais elle éteint le son. Il est très distrayant de regarder gesticuler ces petits personnages, tandis qu’à présent, c’est elle qui peut composer les dialogues. La rue s’est assombrie sous l’imminence de la pluie. Ils pourraient dire, par exemple : « Les fleuves se sont remis à couler. On entend partout leur ruissellement ». L’eau continue sa route, elle trouve son chemin toute seule. Sur la table basse, Asia dispose Nescafé, café, maté, vin, vodka. Les petits personnages de la télévision continue à s’agiter dans le silence, tandis que l’averse éclate dans la rue et qu’Asia se trouve soulevée dans une bulle de buée. Tout est prêt. Elle ne sait pas quoi.

 اليوم تقول لافتة كفرنبل: "فقط في سوريا: معدل سقوط الشهداء يفوق معدل هطول الأمطار...!"

هذا الصباح أفاقت آسيا بمزاج منتعش، رغم غبار الشارع الأسود، رغم طنينٍ كان يدور في رأسها فسّرته بتأثير التفجير الأخير، رغم شعار "الجزيرة" الذي تراه وراء جفنيها كلما أغمضتهما، رغم الكرة الذهبية التي تغوص معها في البحر، كما في الشريط المعهود، عندما تغوص هي في النوم، رغم الأشلاء البشرية مبعثرةً على الرصيفِ، مصحوبةً بذلك التعليق الغريب الذي يُعاد مراراً على قنوات الدولة: "هي هيي الحرية اللي بدكن ياها؟".

لا تطفئ التلفزيون، رغم هذا كله، بل تكتم صوته، فمن الممتع أن تنظر إلى شخوص صغار يتحركون، وفي مقدورها هذه المرة أن تؤلف أحاديثهم. أظلم الشارع، منبئاً بمطر وشيك. كان يمكن للشخوص أن يقولوا مثلاً: "الأنهار قد عادت إلى الجريان، ها نحن نسمع في كل مكان هديرها". يكمل الماء دروبه، لوحده يجد طريقاً. على طاولة خفيضة كان بمتناول آسيا: نسكافيه، قهوة، متّة، نبيذ، فودكا. الشخوص الصغار في التلفزيون ما زالوا يتحركون في الصمت، فيما المطرُ يندلعُ في الشارعِ، وآسيا تجد نفسها ترتفع داخل فقاعة من ضباب.

كل شيء جاهز. ولا تعرف ما هو.

Nathalie Bontemps

Nathalie Bontemps est née en 1977 à Paris. En 1999 elle s’installe à Marseille, où elle poursuit des études d’arabe et écrit ses deux premiers livres : Les HLM maritimes et Hôtel coup de soleil, publiés aux éditions P’tits Papiers en 2005 et 2008. En 2003 elle s’installe à Damas pour y continuer ses études, et y vit jusqu’à la fin de l’année 2011. Elle commence à travailler dans la traduction arabe-français en 2006, avec des traductions d’articles de sciences sociales pour les Instituts français (IFPO) de Damas et de Beyrouth. Entre 2009 et 2012, elle traduit des poètes et écrivains libanais: Abbas Beydoun, Hassan Daoud, Bassam Hajjar (éditions Actes Sud), Imane Humaydane (éditions Verticales). En 2013 et 2014 elle traduit des auteurs syriens : Aram Karabet (éditions Actes Sud), Joumana Maarouf (éditions Buchet Chastel). Elle collabore également à un dossier de littérature syrienne contemporaine pour la revue Siècle 21 (numéro 23). Sa nouvelle traduction, en collaboration avec Marianne Babut,porte sur « Récits d’une Syrie oubliée » de Yassine Al Haj Saleh, à paraitre aux éditions Les prairies ordinaires en mars 2015. Son troisième écrit,à paraître aux éditions Al Manar, est un recueil de récits inspirés de son expérience en Syrie. Les six textes présentés ici en sont tirés. Depuis 2012, elle vit à Saint Denis (région parisienne) et enseigne l’arabe à l’Institut des Cultures d’Islam, à Paris. Elle anime également l’association ChamS Collectif Syrie, qui s’efforce d’apporter de l’aide aux personnes victimes des violations des droits de l’Homme, tant en Syrie que concernant les réfugiés syriens à l’étranger.