Nathalie Bontemps

En route pour l’autre planète

dit Ja Azad en sortant de son lit, à la fois souple comme un chat et ralentie par la vieillesse. Dans le premier soleil, les hommes, les femmes, les enfants, tout le monde marche dans la rue, comme pour accomplir un exode. Les miroirs des foulards et des robes étincellent un peu partout. Les gosses sautent par-dessus les flaques d’eau et les ordures abandonnées pour aller tirer sur la manche de chaque passant afin qu’il sorte quelques sucreries de sa poche. Tous marchent d’un pas tranquille dans les rues désolées, que seul le soleil naissant est à même de réconforter en leur donnant un coup d’épaule amical. Ils marchent sans se presser, à travers champ, pour rejoindre les cimetières. Craignant le froid de l’aube, ils ont enfilé n’importe quels vêtements les uns sur les autres. Certains sont sortis en pantoufles, et ont juste mis un manteau par-dessus leur pyjama. Avec leurs survêtements, leurs robes de fêtes, leurs foulards, leurs bonnets, avec la terre toute ouverte autour d’eux, qui semble dire que rien n’est plus agréable que de partir, on dirait des gitans.

            Mais Ja Azad et ses filles sont montées dans un microbus et dépassent tous ces gens, car leur rendez-vous à elles est plus loin. Elles doivent rouler dans l’immense étendue, pour voir apparaître une petite colline hérissée de tombes, unique relief dans des kilomètres et des kilomètres à la ronde. Un escalier de parpaing, fin et droit comme une colonne vertébrale, l’escalade. C’est là, sur « l’autre planète », que sont enterrés leurs absents. C’est là aussi que se dresse le mausolée du saint dont descend la famille. Quand il est mort, on a mis son corps sur un chameau, qui a dérivé en toute liberté, avant de s’arrêter sur cette dune solitaire. Le mausolée dresse sa mâture et ses banderoles vertes et déchirées, comme pour appareiller.

Et au loin, venues de la ville dans un léger nuage de poussière, on voit apparaître d’autres banderoles, qui se balancent en l’air comme pour répondre aux siennes. Mais ce ne sont pas des tissus verts sacrés. Ce sont des drapeaux syriens à trois étoiles. Là-bas, un gamin a escaladé le panneau routier qui indique la croisée des chemins, qui indique l’Irak et la Turquie, pour agiter là-haut son drapeau. Sur une grande banderole, qui semble avancer toute seule, on peut lire que les festivités de l’Aïd sont reportées jusqu’à la chute du régime. Il y a deux mois, les écoliers ont lancé : « Pas d’études, pas d’enseignement, avant que tombe le président ». Dans les années 80, une prisonnière en cellule d’isolement s’endormait en se disant : « demain je sors », et se réveillait en se disant : « aujourd’hui, c’est mon premier jour de prison ». Ainsi arrivait-elle à tenir la durée, tout au long de ce compte à rebours qui ne prenait jamais fin. Chaque soir est le dernier. Chaque matin est le premier. Sur le chemin du retour, ceux qui ont fait la visite aux morts croiseront la manifestation.

قالت "جا آزاد" وهي تغادر فراشها، لينةً مثل قطة، والشيخوخة تبطئها. منذ طلوع الشمس، الرجال والنساء والأولاد كلُّهم يمشون في الشارعِ، كأنهم يمضون في هجرةٍ، المرايا الصغيرة في الأوشحة وتلك التي في الفساتين تَبرقُ، أو تكادُ، أينما نظرت. الصِبية يقفزون فوق برك الماءِ وأكوام النفاية التي أُهملت هناك، يشدّون كل عابرٍ من أكمامه، لعله يخرج من جيوبه بعض السكاكر. مشوا جميعاً في الشوارع المحزونة هادئين، الشمس وحدها، طالعةً للتو، طيّبت الخواطر وكأنها تُربّت بدفئها على الأكتاف.

مشوا عبر الحقل متمهلين إلى المقبرة. وقد ارتدوا، خشية لسعة الفجر، ما اتفق من ثياب، ثوباً فوق آخر. بعضهم خرج بأخفاف البيت، وبالكاد ألقى بمعطفٍ فوق البيجاما. بهذه الأثواب، بفساتين الأعياد تلك، بالأوشحة، بأغطية الرؤوس، بالحقول شاسعة حولهم، تكاد تقول ما أحلى الرحيل، كأنهم غجر.

لكن "جا آزاد" وبناتها ركبن الحافلة الصغيرة، وسبقن الآخرين كلهم. ذلك أن موعدها "جا آزاد" أبعد قليلاً. عليها أن تذهب عبر المدى الشاسع، تنتظر أن ترى كيف تبزغ تلة صغيرة من بين المسافات، تلة صغيرة مزروعة بالقبور، كما لو أنها التضريس الوحيد في استواء المدى كله.

يعلو درج من أحجار مرصوفة، دقيقاً ومستقيماً كعمود فقري. هنا، على هذا "الكوكب الآخر" كانوا قد دفنوا راحليهم، هنا أيضاً يقع ضريح الوليّ الذي انحدرت منه عائلتهم. حين مات وضعوا جثمانه على جملٍ جال على هواه حتى توقف على هذا الكثيب المتوحد. كان الضريح يرفع ساريته وراياته الخضراء الصغيرة الممزقة، وكأنه سيبحر.

من بعيد بدت المدينة عبر غيمة من الغبار، ثمة رايات أخرى تترنح في الهواء وكأنها تجاوب تلك التي للضريح، لكنها ليست من ذاك النسيج الأخضر القدسي نفسه، تلك أعلام سوريا بالنجمات الثلاث. ثمة فتى تسلق شاخصة الطرقات كي يلوّح برايته، شاخصة تشير إلى تقاطع طرقٍ يدلّ إلى العراق وتركيا. وثمة راية كبيرة تتقدم لوحدها، وبإمكانك أن تقرأ ما كتب عليها: احتفالات العيد مؤجلة حتى سقوط النظام. منذ شهرين هتف التلاميذ: "لا دراسة ولا تدريس، حتى يسقط الرئيس".

سجينة سياسية، أثناء الثمانينيات، داخل زنزانتها المنفردة، كانت تنام وهي تردّد: سأخرج غداً، ثم تفيق وتقول: "هذا أول يومٍ لي في السجن". بهذه الطريقة استطاعت أن تستمرّ، طوال هذا العدّ العكسي الذي لم يكن ينتهي أبداً. كل مساء هو المساء الأخير. كل صباح هو الصباح الأول.

على طريق العودة سيتلاقون في الدربِ، المتظاهرون وأولئك الذين زاروا الموتى.

Nathalie Bontemps

Nathalie Bontemps est née en 1977 à Paris. En 1999 elle s’installe à Marseille, où elle poursuit des études d’arabe et écrit ses deux premiers livres : Les HLM maritimes et Hôtel coup de soleil, publiés aux éditions P’tits Papiers en 2005 et 2008. En 2003 elle s’installe à Damas pour y continuer ses études, et y vit jusqu’à la fin de l’année 2011. Elle commence à travailler dans la traduction arabe-français en 2006, avec des traductions d’articles de sciences sociales pour les Instituts français (IFPO) de Damas et de Beyrouth. Entre 2009 et 2012, elle traduit des poètes et écrivains libanais: Abbas Beydoun, Hassan Daoud, Bassam Hajjar (éditions Actes Sud), Imane Humaydane (éditions Verticales). En 2013 et 2014 elle traduit des auteurs syriens : Aram Karabet (éditions Actes Sud), Joumana Maarouf (éditions Buchet Chastel). Elle collabore également à un dossier de littérature syrienne contemporaine pour la revue Siècle 21 (numéro 23). Sa nouvelle traduction, en collaboration avec Marianne Babut,porte sur « Récits d’une Syrie oubliée » de Yassine Al Haj Saleh, à paraitre aux éditions Les prairies ordinaires en mars 2015. Son troisième écrit,à paraître aux éditions Al Manar, est un recueil de récits inspirés de son expérience en Syrie. Les six textes présentés ici en sont tirés. Depuis 2012, elle vit à Saint Denis (région parisienne) et enseigne l’arabe à l’Institut des Cultures d’Islam, à Paris. Elle anime également l’association ChamS Collectif Syrie, qui s’efforce d’apporter de l’aide aux personnes victimes des violations des droits de l’Homme, tant en Syrie que concernant les réfugiés syriens à l’étranger.