Dan Coman

ghinga. fragments

tout le monde me dit dan. et moi : dan. dan, il faut faire gaffe.
pendant trente ans j’ai blessé avec mes mouvements brusques les animaux de l’air
et maintenant il y a du sang qui goutte sur mes cheveux.
chaque matin je sors la tête d’entre les bras de cette femme
et j’aboie aux côtés de quelques chiens noirs.

dan. l'ombre du corps exerce au-dedans de moi les mouvements brusques du corps :
nuit après nuit je tressaute et souille mes pommettes avec mes chevilles.
je ne crie pas mais je me frappe tout le temps en cachette.
le plus souvent lorsque je la regarde avec beaucoup d’attention
je vois ghinga inquiète recroquevillée dans un recoin de la pièce
murmurer sans cesse mon nom.
de part et d’autre coulent follement les pluies d’été.

tout le monde me dit dan. et moi : dan. dan, il faut faire gaffe.
et tout de suite après j’arpente à quatre pattes les pièces en fumant et en grommelant
            furtivement.

j’ai toujours un animal domestique enroulé autour de la bouche.
et le matin, le matin vas-y fonce en emportant aussi l’ombre
et la terre qui m’arrive presque aux cuisses
et les gencives qui baignent dans du jus de prunes.

vas-y fonce vas-y fonce et vers minuit
il n’y a que ma tête qui sort d’entre ses bras
aux côtés de quelques chiens noirs
qui glapissent à chaque coup sec que leur assène le soleil hivernal.

aussi peu que possible sur la mort. sur la vie d’entre ses bras. et rien
pas même un mot qui pourrait réveiller ghinga et chasser son odeur.
il m’arrive rarement de voir et lorsque je vois j’en ai honte quarante jours d’affilée.
j’ai résisté à toutes les peurs mais face à moi
j’ai toujours les jambes qui flanchent.

rien d’autre ne peut m’amadouer.


et il y a aussi ces vendredis matin lorsque porté sur les bras par ghinga
j’ouvre de mes deux mains les lèvres des vivants
et en me servant de ma tête exactement comme d’un oiseau de basse-cour
je picore patiemment la noirceur de leur bouche.

pour ne pas sentir la transpiration j’ai bouché tout mon corps avec de la terre
puis j’ai tourné cent fois autour de moi-même pour répandre le froid.
je suis à l’abri pour le restant de ma vie. je suis serein et de bonne humeur :
comme des chiots caniche se dressent les morts et réchauffent mon cœur.
je ne leur parle jamais mais le soir surtout le soir je les sors pour prendre l’air
et eux ils geignent et grommellent dans leur charabia.
il y en a qui portent au-dedans d’eux-mêmes une vraie maladie et c’est pour cela
qu’ils ressuscitent perpétuellement à quelques jours d'intervalle. et alors autour du soleil
                                                                                                                        il fait noir noir
et la lumière jaillit d’entre les cuisses de cette femme et les frappe avec exactitude.
je suis à l’abri pour le restant de ma vie. je suis serein et de bonne humeur :
très tôt le matin je m’allonge au beau milieu de la pièce
et me concentre uniquement sur mes plaisirs. l’espace de quelques heures plus rien n’existe
même si les morts comme quelques nouveau-nés délaissés
se rassemblent tout de suite à mes pieds et se mettent à geindre dans leur charabia
et se mettent à trembler et se mettent tous à hurler.

 

après un long engourdissement je me trouve de nouveau irrésistible.
je m’enfonce dans ma tête à la vitesse d’un jeune guépard
et je cours à travers la pièce deux fois plus vite qu’un jeune guépard.
je m’offre un instant de pur plaisir. j’avale l’air tout simplement : je suis heureux.
je peux à peine me faire face (je me reconnais même quand je danse).
c’est par une ruse singulière que j’arrive aux abords de mon cœur.
je me parle mais je dois faire attention : ce n’est qu’en me vantant outre mesure
que j’arrive à vivre jour après jour.
je suis vraiment un être époustouflant.
je ne sais plus quoi faire : je me trouve irrésistible.
j’ouvre la fenêtre et la terre envahit la pièce comme une eau limpide.

les trois premières semaines sont les plus dures. alors
le ciel se trouve à même pas 40 cm au-dessus des planchers
et toi en dessous agitant toujours ton corps en vain
comme un veau qui n'est qu'à moitié mis bas
t’allongeant sur le ventre et essayant d’avancer sous ce ciel
tâtonnant après ta femme
après le corps chaud d’où l’on entend l’extrémité du lait

les trois premières semaines sont les plus dures

alors à chaque mouvement tu soulèves un peu le ciel avec ton dos

comme si tu faisais sauter d’une épaule sur l’autre
un cochon mort qui pèse cent quatre-vingts kilos

tôt le matin d'entre les vivants se lève l’esprit des vivants et
après avoir bourdonné un peu au-dessus d’eux
comme une petite mouche rondouillette dans le lait il tombe parmi eux
et se change en volutes de mousse.

par ici il n’y a que la force du corps qui l’emporte.
par ici depuis trente ans le soleil reste figé au-dessus de moi et
mon corps sent déjà fort le steak de porc.
et ghinga me porte dans ses bras et pâlit à chaque pas
en renversant la tête.

(mais il y a tant de précision dans ses mouvements : depuis trente ans
la souffrance du corps est inconnue par ici.)

accroché comme un grand tapis de laine à la fenêtre
mon corps prend l’air pendant quelques heures seulement et
pendent quelques heures seulement le monde se met à sentir très fort le porc.

cependant les vivants se bousculent sous la fenêtre
et tripotent une étrange partie de leur corps et murmurent
sans cesse quelque chose sur l’esprit des vivants sorti immédiatement des chairs
fort et coloré et couvert de petites pustules d’or.

(et mon corps est toujours accroché à la fenêtre,
il flotte et répand une odeur de steak par-dessus les vivants)

puis ghinga arrive et les regarde avec beaucoup d’indulgence
elle écoute leurs paroles et voit l’esprit mousser parmi eux

et enfin c’est juste devant eux que ghinga extrait son corps et
sa superbe cellulite de sa robe et en frappe sèchement leur mufle.


الجميع يناديني دان. وأنا : دان. دان، يجب أن تحتاط.
خلال ثلاثين سنة أصبت بحركاتي المفاجئة حيوانات الهواء
والآن ثمة دم يقطر على شعري.
كلّ صباح، أخرج رأسي من بين أحضان هذه المرأة
وأنبح إلى جنب بعض الكلاب السّود.

دان. ظل الجسد يمارس فيّ حركاته المفاجئة :
ليلة بعد ليلة أقفز ذعرا وألوث وجنتيّ بكاحليّ.
لا أصرخ بل ألطم وجهي في الخفاء.
وغالبا حينما أنظر إليها بتركيز شديد
أرى غينغا قلقة تتكوّم في إحدى زوايا الغرفة
وتهمس دون توقفّ باسمي.
من هذه الجهة وتلك ينهمر مطر الصيف بجنون.

الجميع يناديني دان. وأنا : دان. دان، يجب أن تحتاط.
وحالا بعدها أمسح أرض الغرف على أربع مدخّنا ومدمدما
خلسة.
حيوان داجن يغلّف دائما فمي.
وفي الصباح، في الصباح هيّا انطلق واحمل معك أيضا الظّل
والأرض التي تصل تقريبا إلى فخذيّ
و لثّتي التي تعوم في عصير البرقوق.
هيّا انطلق، انطلق و قرابة منتصف الليل
هناك رأسي يخرج من بين أحضانها
إلى جنب بعض الكلاب السّود
التي تعوي تحت ضربات الشمس الشتوية الموجعة.
النزر القليل عن الموت. عن الحياة بين أحضانها. ولاشيء
ولو كلمة يمكنها أن توقظ غينغا وتطرد رائحتها.
نادرا ما أرى وحينما أرى أخجل لأربعين يوما.
قاومت كلّ أنواع الخوف لكن أمامي
قدماي لا تقويان على حملي.

لاشيء يمكنه أن يتملّقني.

هناك أيضا أيّام الجمعة في الصباح حينما تحملني غينغا بين ذراعيها
أفتح بيديّ شفاه الأحياء
مستعملا رأسي بالضبط مثل ديك في فناء البيت
أنقر بصبر سواد أفواههم.








لكي لا أشمّ رائحة العرق أغلقت كل جسدي بالتراب
ثمّ درت مائة مرّة حول نفسي لأنشر البرد.
أنا في مأمن لما تبقّى من حياتي. أنا هادئ ومزاجي رائق :
مثل جراء الكنيش يقوم الموتى ويدفئون قلبي.
لا أكلّمهم أبدا لكن في المساء خصوصا في المساء أخرجهم ليشمّوا الهواء العليل
لكنهم يئنّون ويدمدمون في لغاتهم الغريبة.
هناك من يعانون في قلوبهم من مرض حقيقيّ ولهذا السّبب
يبعثون إلى الأبد في أيام متفرّقة. و حول الشمس
العالم أسود أسود
والنّور ينبجس من بين فخذيّ هذه المرأة ويضربهم بدقّة.
أنا في مأمن لما تبقّى من حياتي. أنا هادئ و مزاجي رائق :
باكرا أتمدّد وسط الغرفة
وأركّز فقط على ملذّاتي. و خلال بضع ساعات لا يهمّني العالم
حتّى لو اجتمع في الحال الموتى وبعض المواليد المتخلّى
عند قدميّ وأخذوا يئنّون في لغتهم الغريبة
ويرتجفون ويصرخون جميعا.




بعد خدر طويل أجد نفسي جذّابا من جديد.
أتوغّل في رأسي بسرعة فهد فتيّ
وأركض في الغرفة أسرع مرّتين من الفهد الفتيّ.
أمنح نفسي لحظة خاصة من اللّذة. أبلع الهواء بكلّ بساطة : أنا سعيد.
أستطيع بالكاد أن أتعرّف على نفسي ( أتعرّف على نفسي حتّى وأنا أرقص).
وبحيلة فريدة أصل إلى أطراف قلبي.
أكلّم نفسي لكن يجب أن أحتاط : الادّعاء الزائد
هو الذي يمكّنني من الحياة يوما بعد يوم.
أنا في الحقيقة كائن مدهش.
لا أدري ما أفعل : جاذبيّتي لا تقاوم.
أفتح النافذة فتغمر الأرض الغرفة مثل ماء زلال.




الأسابيع الثلاثة الأولى هي الأصعب. إذن
توجد السّماء على بعد 40 سنتمتر من الطوّابق
وأنت في الأسفل تهزّ جسدك عبثا
مثل عجل لم يخرج إلا نصفه من بطن أمّه
تتمدّد على بطنك وتحاول أن تزحف تحت السّماء
متلمّسا زوجتك
بعد الجسد الدافئ نسمع نهاية الحليب

الأسابيع الثّلاثة الأولى هي الأصعب
إذن عند كلّ حركة ترفع قليلا السّماء بظهرك
كأنّك تلعب على كتفيك
بخنزير ميّت يزن مائة وثمانين كيلوغراما




باكرا تقوم من بين الأحياء روح الموتى
وبعد أن تطنّ قليلا فوق رؤوسهم
مثل ذبابة صغيرة سمينة في الحليب تسقط بينهم
وتصير حلزونيات من الرّغوة.

هنا لا توجد سوى قوّة الجسد التي تنتصر.

هنا منذ ثلاثين سنة تبقى الشمس معلّقة فوق رأسي
وجسدي تنبعث منه بقوة رائحة شريحة لحم الخنزير.
وغينغا تأخذني بين ذراعيها و يصفرّ وجهها في كلّ خطوة
وهي تقلب رأسها.

( لكن هناك الكثير من الدّقة في حركاتها : منذ ثلاثين سنة
عذاب الجسد غير معروف هنا.)

معلّقا مثل بساط كبير من الصوف على النافذة
يستنشق جسدي الهواء النّقيّ لبضع ساعات فقط
و خلال سويعات فقط تنبعث بقوّة رائحة الخنزير من جسد العالم.

لكنّ الأحياء يتدافعون تحت النافذة
ويتلمّسون أجزاء غريبة من أجسمائهم و يتهامسون
عن روح الأحياء وعن شيء خرج للتّو من اللّحم
قوّيا وملوّنا و مغطّى ببثور من الذّهب.

( جسدي معلّق دائما في النافذة،
يطفو وينشر رائحة شرائح اللّحم فوق رؤوس الأحياء)
ثمّ تأتي غينغا وتنظر إليهم بكثير من العطف
وتستمع إلى كلامهم وترى الرّوح تزبد بينهم
وفي الأخير وبالضّبط أمامهم تعرّي غينغا جسدها
و السيلوليت الراّئعة لفستانها و تضرب بها أنوفهم .

Dan Coman

Dan Coman (1975) est l'auteur de trois recueils de poèmes, L'année de la taupe jaune (2003, Prix du premier recueil de l’Union des écrivains de Roumanie et Prix national Mihai Eminescu – opera prima), Ghinga (2005) et Le Dictionnaire Mara (le guide du père 0-2 ans) (2009), et de deux romans. Il a également publié deux anthologies poétiques personnelles : d great coman (2007) et, respectivement, erg (2012).

Ses poèmes, qui ont déjà été traduits dans six langues, lui ont apporté en 2011 le Crystal Prize du Festival de Vilenica (Slovénie).

Traduction et biobibliographie ©Linda Maria Baros