Rares sont les choses dont je me souviens et auxquelles je fais toujours confiance.
Ma mémoire, c’est ma vie,
mais ma mémoire est contrefaite. Il y a trop de peur,
trop peu de confiance.

Moi, je fais partie de ceux qui n’ont pas vécu à vos côtés,
qui n’ont pas connu et n’ont pas apprécié les mêmes choses,
je fais partie de ceux qui n’ont rien connu de ce qu’ils ont vécu,
qui n’ont connu, n’ont vécu, n’ont aimé que ce qu’ils ont imaginé.

Et ce que j’ai imaginé, c’était enfin la vraie vie.

Moi, j’écris tout ce dont je me souviens, avec précision.
Avec la précision d’un métronome.
Mais ma mémoire, comme je le disais,
n’est pas tout à fait digne de confiance.
J’écris alors tout ce que j’imagine,
avec la précision d’un métronome,
mais rien de ce que j’imagine n’est exact.
J’écris alors, j’écris, j'écris jusqu’à épuisement,
jusqu’à ce qu’il ne reste rien de moi qui ne soit pas écrit,
jusqu’à ce que mon cœur de taureau débile approche de la mort.

Et ce n’est qu’alors que la vie prend sens. C’est alors que je me sens apaisé, que je bois
            du thé, que je dors normalement.
Dans mon lit, je dors avec mon amour,
dans mon lit, j’invente des feuilles de sycomore, comme des tulipes,
ma poitrine s’ouvre et se referme au rythme de la respiration des feuilles de sycomore.

Un jour, dans quelques années, lorsqu’il n’y aura plus de sycomore,
j’écrirai un poème, ce sera du jamais vu.
Il ne sera ni beau, ni intelligent, ni inspiré,
le poème, ce sera du jamais cru. Il ne parlera pas de moi,
ni de ma vie, il ne parlera pas de la vie, 
ni de la mort,
un poème qui parlera de toi,
mais toi non plus, mon ami, tu n’es pas à l’abri de la faute.

Et alors : je dors dans mon lit couvert de feuilles de sycomore,
le vent paresseux me renifle d’un côté
et moi, une main cachée entre les genoux,
je me retourne.