I.
La fin a, elle aussi, ses carences,
la fin choisit des hommes à sa mesure, des hommes finis,
selon l’odeur et l’état de leur peau.
La fin, elle sait ce qu’elle sait.

Nos hommes finis sont des gens de bien ;
on accroche un crâne de cochon à la porte de chaque maison.
Et lorsqu’ils boivent, nos hommes finis font les beaux
et personne n’y voit rien à redire, puisque nos hommes finis,
sages, comme ils sont, avec leurs petits museaux enfoncés dans la boue,
ne sentent même plus le souffle
ne sentent même plus le souffle
de la nouvelle bête sauvage qui approche, à chaque bouffée d’air,
elle fait encore deux pas
et s’approche de toi, soleil
à chaque frôlement, la monstresse est une hase elle fait vlan, en l’air,
et s’approche de toi, soleil.

II.
Je ne broie pas de pierres à la place du blé, je ne chante pas ce qui ne doit pas être chanté,
La limpidité de l'image se trouble si vous jetez quelque chose, n'importe quoi, dedans,
Je travaille sur un monde mesquin.

Je ne trouble rien, ne fais pas de distinctions, ne jure pas,
La limpidité de l’image est merveille immobile.
Je travaille sur une image que je ne verrai jamais.

III.
La fatigue que j’ai ressentie ces derniers temps ne dit rien sur la vie,
Sur l’écriture non plus,
Tant mieux, ce n’est pas ce que je souhaite qu'on voie,
Mais cette plaine tellement bleue
Qui me subjugue entièrement.

Tout me semble limpide dans une certaine mesure,
de plus en plus limpide,
je ne peux plus supporter le mal,
je ne peux plus me supporter moi-même.

Le vent froid de l’enfance glisse à nouveau au long de mes bras,
Comme à l’époque où j’avais encore cinq ou six ans.
Désormais, je ne ressens aucun frémissement sous la peau,
Aucune illumination,
Aucun abri enchanté
Où je pourrais me cacher et pleurer.

Mon illumination est maintenant patience indomptable.
Plaine bleue, plaine bleue,
C’est dans le brouillard de tes commencements que j’ai vu la vie,
Comme un long couloir sombre,
Çà et là, la palpitation d’une ampoule incertaine
Me laissait deviner une beauté confuse
Dans laquelle je me suis enfoncé encore et encore.
Tellement claire est maintenant pour moi cette beauté,
Tellement certaine.

IV.
Je ne recule pas même d’un pas,Ce n'est pas vraiment la première fois qu'on essaie de m'intimider.
Le sang peut couler autant qu’il veut,
Du nez, des poings, des yeux, des poumons,
Je ne recule pas même d’un pas.

Je voulais m’expliquer, pour la toute première fois,
Les choses de la vie. Je voulais être aussi peu absurde que possible,
Être normal, m’habiller comme tout le monde, parler comme parlent les gens.
Je ne suis pas normal, je ne me soucie point de la manière dont je m’habille,
            c’est à l’âge de 16 ans que j’ai commencé, moi aussi,
À dire bonjour.
Je ne parle pas, mais ne suis pas taciturne, je jacasse, graille, m’occupe, improvise,
Mais ne dis rien, ne peux rien dire. Je peux parler de tout et de n’importe quoi,
            mais jamais de la vie.
Je parle beaucoup de moi, pas toujours, mais souvent, tout simplement
            parce que je ne sais pas
Ce qu’il en est de moi, où j’en suis, ce que j’ai à faire et je ne sais rien,
Rien sur la vie.

V.
Il y a tellement de brouillard qu'on ne voit plus rien.
On ne voit plus rien à l’horizon,
Pas même depuis le quatrième étage de la HLM où j’habite.
On devine quelque part un réverbère, c’est qu’on dirait,
Mais il est tellement loin que mes pensées ne peuvent se frayer un chemin jusque-là.
Je suis ici, il y a tellement de brouillard que je ne peux voir au loin.
Et même si je pouvais voir jusqu’au réverbère,
Qu’y aurait-il à distinguer : deux personnes et leurs enfants,
Entassés dans le brouillard comme dans de la gélatine, qui ne savent pas
            quel chemin prendre.

VI.
Ma vie se partage maintenant entre la famille et la solitude,
entre les merveilleux enfants que j’ai et les livres,
entre les journées passées dans la peur
(comme si la peur était quelque chose de merveilleux),
et les nuits passées face-à-face avec l’obscurité du plafond,
ou dans l’obscurité, indécis, comme un jeune champignon,
entre la famille et la solitude, entre la vie et la mort,
entre être ainsi maintenant, tel que je devrais l’être,
et être comme personne ne devrait jamais l’être.

Qu’on pardonne ma tristesse et mes maladresses,
ma mélancolie et mes lamentations, je ne suis qu’un homme vide,
que seules les paroles prononcées à cet instant même remplissent,
je ne suis qu’un homme seul qui se partage
entre la famille et la solitude tout comme le boucher partage
la viande maigre de la viande persillée,
la viande rouge et crue de la viande bleuâtre, exposée au soleil.

VII.
Il y a tellement de brouillard qu’on ne voit plus rien.