Un homme et une femme jouaient avec l'idée de l'amour, comme au temps des troubadours, conscients que leur jeu exigeait pour durer que l'amour lui-même fût sans cesse différé, ne fît pas irruption. Ainsi se tenaient-ils toujours au bord de la déclaration, au seuil de son exquise trouée. Un matin où son amie lui avait annoncé qu'elle avait à lui dire une chose importante, l'homme écrivit :

 

 

N'attends pas trop

la mort (et donc la vie)

se situe entre le nez et la bouche

 

 

  Àquoi elle répondit

 

 

Alors j'écrirai tout à l'heure

car il y a l'infini

entre le nez et la bouche

 

 

 

                                                                         38.

 

 

   Sans être lui-même un étranger, mais seulement, comme nous tous ici, un descendant d'immigré, un homme souffrait d'un sentiment d'exil qui le poussait à voyager, bien qu'il transportât partout avec lui cette très intime déchirure. A peine était-il ici qu'il se rêvait ailleurs ; à peine avait-il franchi une frontière qu'ici apparaissait soudain à sa pensée paré de qualités qui en feraient cette fois, à son retour, il n'en doutait plus, une terre où rester... 

  Il exerçait un métier qui lui permettait de se déplacer et, souvent, il sollicitait lui-même les missions, laissant alors son amie de l'autre côté de la Méditerranée, après un adieu douloureux et sportif, intense, délicieux, qui lui faisait éprouver à quel point elle lui était chère. 

     C'est de la splendide baie d'Alger que cette fois il lui écrivit :

 

Tu me manques cette nuit

si tu savais ma chérie

je ne me comprends plus moi-même!

J'envie la lune pleine

qui te tient éveillée

et plus que tout les vagues

car, elles, peuvent faire marche arrière!*

 

 

 

 

 

 

 

  * Ce conte est inspiré du Conte VII des Contes d'Ise.  Dans celui-ci, l'homme, qui s'ennuyait à la capitale, part pour les provinces de l'Est, mais "arrivé à la plage, sur les frontières de l'Isé et de l'Owarie", il compose un poème qui finit par ces vers : Combien je vous envie / Vagues qui revenez en arrière!