Nathalie Bontemps

Vendredi matin

La femme engagée, qui n’a pas l’habitude de boire, dort d’un sommeil agité. A peine a-t-elle fermé les yeux qu’elle s’est aussitôt relevée, la même, mais encore plus légère, et peut-être un soupçon plus jeune. Elle a remis en hâte le pantalon et le pull de la veille, sans se soucier qu’ils sentent la cigarette, et elle a hélé un taxi pour partir au garage de Someriyeh. Elle avait peur d’être en retard, de rater le départ. Un crachin léger tombait sur l’aube, la ville paraissait sale et d’humeur massacrante, et pourtant la pluie abreuvait délicieusement l’esprit de la passagère. Elle regardait nerveusement l’heure sur son téléphone portable. Bientôt apparut la silhouette lugubre du garage central, et elle soupira d’aise. Elle se précipita dehors, et courut, sans remarquer qu’elle partait en voyage sans le moindre bagage, sans brosse à dent ni papiers. Joie ! Le bus était encore là. Il était d’une couleur mauve bizarre, et un groupe de passagers fumaient devant, comme à l’accoutumée, avant de monter rejoindre leur siège. Dans ce groupe, elle crut reconnaître certains visages. Celui d’Asia. Celui de Safeya. Elle entraperçut aussi le traducteur et le médecin. Tous semblaient l’attendre pour donner le signal du départ. Chacun prit une place, qu’il choisit à sa guise car tous les sièges portaient le numéro 0. On partit en silence, dans un jour où le soleil n’apparaîtrait pas. On passa devant les lugubres HLM du parti, et immédiatement après se produisit une trouée de lumière, et le bus se trouva en hauteur, surplombant un golfe maritime où des îles apparaissaient et disparaissaient dans le bleu sans qu’on puisse savoir si elles existaient. Une rumeur parcourut le bus, comme quoi on survolait Carthage. La femme engagée voulut crier : « Vive la terre libérée ! » Mais ce n’était pas si facile, aussi, quand elle prit son souffle et son courage à deux mains, seul le mot « Terre ! » passa le barrage de sa gorge. Et à l’annonce d’un prochain accostage, tous les passagers du bus applaudirent longuement, sans prêter attention à la peur qui les guettait depuis le rétroviseur.

المرأة اليسارية، التي لم تكن لها عادة شرب الكحول، راحت في نومٍ قلق. سرعان ما أفاقت، بعد أن أغمضت عينيها بالكاد، لا تزال هي نفسها حين نهضت، ولكن أخفَّ قليلاً، وربما أكثر شباباً. متعجلة ارتدت بنطلون وكنزة البارحة، دون أن تكترث برائحة الدخان فيهما، وطلبت سيارة تاكسي لتوصلها إلى كراجات السومرية. خافت أن تكون قد تأخرت وأن يفوتها موعد الحافلة. رذاذٌ خفيف كان يهمي على الفجر، بدت المدينة وسخةً وبمزاجٍ مكفهرّ، مع ذلك راح المطر يروي بتلذذٍ روحَ المسافرة، متوترةً نظرت في ساعة هاتفها المحمول، وسرعان ما ظهرت الهيئة الكئيبة للمحطة المركزية، فتنفست بارتياح. نزلت مسرعةً، راكضة دون أن تلاحظ أنها تسافر بلا أي أمتعة، بلا فرشاة أسنان وبلا أوراق. يا للسعادةْ! الحافلة ما تزال هناك، لونها بنفسجي غريب، وثمة مجموعة مسافرين يدخنون بقربها، كما لو ليتعودوا عليها قبل أن يصعدوا، ويتخذوا مقاعدهم بداخلها. من بين هذه المجموعة ظنت أنها عرفت وجوهاً بعينها، هذا الذي لـ"آسيا"، وذاك الذي لـ "صفيّة". تعرفت من بين هؤلاء أيضاً إلى المترجم والطبيب. بدا على الجميع أنهم كانوا في انتظارها كي تُعطى إشارة الانطلاق. كلٌ أخذ مكانه، اختاره على هواه، فأرقام المقاعد كانت كلها "صفر". انطلقوا في الصمت، في نهارٍ لن تشرق فيه شمس، مروا أمام مساكن الحزب المسبقة الصنع الكئيبة، بعدها بلحظة تكشّفت فجوة من الضوء وصارت الحافلة في الأعالي، فأشرفت على خليج من البحر، حيث جزرٌ تظهر من الأزرق وجزرٌ تختفي في الأزرق، من دون أن يتأكد أحد أنها حقيقةً كانت هناك، ثم سَرَتْ بين الركاب إشاعة أنهم الآن يحلقون فوق قرطاج. المرأة الملتزمة أرادت أن تصرخ : " تحيا الأرض الحرة "، لكن ذلك لم يكن سهلاً، ولهذا، رغم أنها تنفست عميقاً واستجمعت كل شجاعتها، لم تستطع أن تطلق من حاجز حلقها سوى كلمة "أرض". ما ظنه الركاب إعلاناً عن رسوٍّ وشيكٍ جعلهم يصفقون طويلاً دون أن يكترثوا للخوف، ذاك الذي كان يرقَبهم في مرآة الرؤية الخلفية.  

Nathalie Bontemps

Nathalie Bontemps est née en 1977 à Paris. En 1999 elle s’installe à Marseille, où elle poursuit des études d’arabe et écrit ses deux premiers livres : Les HLM maritimes et Hôtel coup de soleil, publiés aux éditions P’tits Papiers en 2005 et 2008. En 2003 elle s’installe à Damas pour y continuer ses études, et y vit jusqu’à la fin de l’année 2011. Elle commence à travailler dans la traduction arabe-français en 2006, avec des traductions d’articles de sciences sociales pour les Instituts français (IFPO) de Damas et de Beyrouth. Entre 2009 et 2012, elle traduit des poètes et écrivains libanais: Abbas Beydoun, Hassan Daoud, Bassam Hajjar (éditions Actes Sud), Imane Humaydane (éditions Verticales). En 2013 et 2014 elle traduit des auteurs syriens : Aram Karabet (éditions Actes Sud), Joumana Maarouf (éditions Buchet Chastel). Elle collabore également à un dossier de littérature syrienne contemporaine pour la revue Siècle 21 (numéro 23). Sa nouvelle traduction, en collaboration avec Marianne Babut,porte sur « Récits d’une Syrie oubliée » de Yassine Al Haj Saleh, à paraitre aux éditions Les prairies ordinaires en mars 2015. Son troisième écrit,à paraître aux éditions Al Manar, est un recueil de récits inspirés de son expérience en Syrie. Les six textes présentés ici en sont tirés. Depuis 2012, elle vit à Saint Denis (région parisienne) et enseigne l’arabe à l’Institut des Cultures d’Islam, à Paris. Elle anime également l’association ChamS Collectif Syrie, qui s’efforce d’apporter de l’aide aux personnes victimes des violations des droits de l’Homme, tant en Syrie que concernant les réfugiés syriens à l’étranger.